Reprises de savoirs

 — Agir Tous pour la Dignité du Quart monde (ATD Quart monde)

Agir Tous pour la Dignité du Quart monde (ATD Quart monde)

Qui ? Quoi ? Quand ? Où ?

Agir Tous pour la Dignité, une association plus connue sous l’acronyme d’ATD Quart Monde. Depuis sa création en 1957, ATD rassemble des personnes ayant (eu) l’expérience de la grande pauvreté et de l’exclusion, et des personnes ne connaissant pas la misère. Elle fut fondée par le prêtre Joseph Wresinski (1917-1988), un descendant d’une famille pauvre d’immigrés polonais et espagnol, dans la cité d’urgence Château-de-France à Noisy-Le-Grand (banlieue parisienne). Le mouvement s’est depuis étendu et est aujourd’hui présent dans 32 pays sur les 5 continents. S’apparentant à des bidonvilles, les « cités d’urgences » comme celle de Château-de-France avaient été construites dans les années 50 dans l’attente de logements sociaux et les familles y vivant connaissaient une grande précarité. Dès ses débuts, ATD se démarque d’autres institutions présentes sur place par sa philosophie : il ne s’agit pas d’une œuvre caritative ou d’assistanat, mais plutôt d’un « mouvement » qui vise à faire reconnaitre la pensée et l’expérience des personnes vivant dans la pauvreté. Cette reconnaissance est considérée comme indispensable aussi bien à la société et qu’à leur dignité. Ainsi, au lieu de distribuer soupe et vêtements, ATD préfèrera construire avec les habitants des lieux de partage et d’apprentissage, comme les bibliothèques de rue qui sont un dispositif encore fréquemment utilisé aujourd’hui. Les bénévoles d’ATD se rendent de manière régulière près de ces bibliothèques où iels animent des ateliers avec les enfants et en profitent pour rencontrer les parents. Un autre exemple d’actions d’ATD est celui des personnes salariées (ou non) qui vont vivre auprès des personnes précarisées avec l’intention de tisser des liens avec les familles. Un point important ici est que la démarche d’ATD ne consiste pas à « inviter » les personnes vivant dans la pauvreté à venir « bénéficier » ou « participer » à telle ou telle activité. Toutes les actions commencent par aller directement à la rencontre des personnes isolées par la misère et de témoigner auprès d’elles d’une présence solidaire et militante. C’est à partir des quartiers populaires et des activités qui s’y déroulent qu’est construite à la fois la pensée, le militantisme, et l’action.

Le deuxième temps de toutes les actions d’ATD consiste à permettre à chacun.e de se reconnaitre dans un collectif. Les Universités Populaires Quart Monde (UPQM) sont importantes ici. Il s’agit d’un lieu où l’on rencontre des personnes vivant les mêmes réalités et où l’on travaille la pensée, l’expression, le dialogue à partir de l’expérience de vie, en petit groupes, grâce à des animateurs.rices qui répartissent et encouragent la prise de parole. Dans ces universités, des méthodes d’éducation populaire sont utilisées. Par exemple, dans le cadre du réseau écologie et pauvreté, des arpentages ou des adaptations de la fresque du climat ont été mis en place. Cette dernière a donc vu le jour après de nombreuses sessions de discussions, essais et adaptations avec des militant.es quart-monde qui connaissent notamment des particularités dans les préoccupation et dans les modes d’apprentissage, d’attention, et de communication des personnes en situation de pauvreté. Enfin, le lien entre « l’intérieur » et « l’extérieur » de l’association est particulièrement important et se fait de plusieurs manières. Les séances plénières des UPQMs font dialoguer un spécialiste du thème choisi et les membres du mouvement. La position de l’invité est aussi délicate qu’importante : il ou elle doit d’abord écouter, pendant généralement une heure, avant de pouvoir réagir en reprenant ce qu’il ou elle a entendu pour ajouter, incorporer son savoir.

Sur le croisement entre les savoirs et les pratiques

Un autre dispositif mis en place par ATD consiste en des ateliers-formations de « croisement des savoirs », qui partent du principe que les militants ont un savoir de par leur expérience, les professionnels de par leur formation, et les universitaires de par leur recherche. En croisant ces trois types de savoirs, l’objectif est d’arriver à une analyse plus juste des situations vécues. Durant ces formations, les militants Quart Monde sont payés pour travailler sur un thème particulier (par exemple l’aide à l’enfance) avec des professionnels et/ou des scientifiques. Ils suivent ensemble une certaine méthode pédagogique leur permettant de confronter leurs représentations, leurs points de vue, leurs manières de faire, leurs expériences pour finalement établir les points d’accord et de désaccord, le plan d’action, ainsi que de futures pistes de travail. Enfin, de manière plus institutionnelle, ATD relaye et faire connaitre la voix des militants en siégeant dans des instances politiques comme l’UNESCO, le Conseil économique et social, ou l’Assemblée. Ce travail de plaidoyer joue sur les politiques et les budgets publics.

Ce qu’on peut retenir pour les chantiers-pluriversité

La composition d’un groupe, on le sait, façonne la connaissance qu’il produit, ainsi que ses revendications et ses actions. Cependant, tout le monde n’est pas égal face à la participation, qu’elle soit scientifique, politique ou militante : s’exprimer, formuler une pensée, donner de son temps, accéder à une formation, dépendent de conditions socio-matérielles inégalement réparties. La question de l’inclusion se pose alors, et elle n’a rien d’évident. Comment transformer les cercles affinitaires en des spirales, voire en des structures polymorphes, plus rhizomiques que circulaires ? Quelles techniques de repiquage inventer pour les pluriversités, pour faire-avec, faire-pour, faire-par un plus grand nombre ? Ce sont ces questions qui ont motivé notre intérêt pour ATD. Mis à part l’aspect peut-être traditionnel et institutionnel d’ATD, ce que nous pouvons retenir de ce mouvement pour les chantiers-pluriversités est une conception de l’inclusion basée sur le déplacement, sur le repiquage, sur la rencontre. S’il on veut pouvoir se « dé-former » et investir des espaces multiples de recherche, d’enquête, de réflexion, d’échange et de discussion qui enclenchent diverses mutations socio-écologiques, il faut aussi se donner les moyens de reconfigurer les structures, les espaces, et les dynamiques qui invisibilisent la présence, la parole, l’expérience, l’existence de certaines personnes. Reconnaître celles des personnes qui ne sont ni militantes, ni désertrices, ni universitaires est d’autant plus nécessaire que ces dernières sont nombreuses et que l’on ne peut muter sans elles et eux. Ces personnes ont beaucoup à nous apprendre, elles ont besoin de nous nous avons besoin d’elles pour avancer et nous décaler, nous déformer.

En savoir plus

Site général d’ATD Quart Monde : https://www.atd-quartmonde.fr/

Source de l’image d’accueil : https://www.atd-quartmonde.fr/le-nord-pas-de-calais-retrouve-son-universite-populaire-quart-monde/