Reprises de savoirs

 — L’autre rentrée

L’autre rentrée

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Pour un autre rentrée, note d’intentions !

Reprises de Savoirs, Janvier 2023

Et si les rentrées dans les campus étaient autre-chose qu’un rite d’intégration dans un grand moule de repli sur soi ? Rêvons. Et si plutôt que de transmettre les codes de l’élitisme, du patriarcat, du solutionisme technologique, du surplomb académique, du management prétendument rationnel des mondes, etc. Et si les rentrées pouvaient permettre de conscientiser, politiser les étudiant·es et personnels de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche sur les causes structurelles du ravage écologique et social en cours ? De les inviter à passer à l’action ? Cette perspective est une hypothèse que nous explorons et souhaiterions discuter avec vous, dans l’objectif de créer des liens entre campus et mouvements sociaux, d’affirmer publiquement la nécessité d’une transformation radicale et ce en appuyant à la fois de l’intérieur et de l’extérieur à l’endroit de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

L’Enseignement Supérieur et de la Recherche va mal, très mal. Les établissements sont de plus en plus pris dans des logiques managériales et concurentielles. Ils restent instrumentalisés par les pouvoirs économico-industriels et étatique. L’Etat et le marché seraient donc les seules formes d’expression légitime des besoins sociétaux en termes de transmission et de production savoirs. S’en suivent la hierarchisation des formes de savoirs, leur extractivisation à des fins économico-financières, la dépolitisation des espaces de formations, la création de ghettos universitaires spécialisés, hors-sol, l’enfermement des étudiant·es et des personnels dans des logiques individualistes, la séparation des têtes (savoirs), des mains (savoir-faires) et des sensibilités (coeurs) etc.

L’écologisation des espaces de formations et des cursus ne sera pas suffisante pour transformer radicalement et structurellement ces institutions gangrénées par plusieurs décennies de « soumission » aux logiques capitalistes, impérialistes et néo-libérales. Si la sensibilisation est une étape nécessaire, ce n’est pas en faisant vivre une Fresque du Climat à tous les étudiant·es et personnels des établissements que l’on « dégagera » TotalEnergies, Bouygues, Thalès, Google, la Société Générale et consorts des campus et des conseils d’administration des établissements. Cinq ans après l’Appel pour le réveil écologique largement soutenu par les communautés étudiantes, nous ne pouvons que faire le constat que les cursus d’enseignement français restent à la botte des grandes industries techno-idôlatres (pour certaines repeintes en vert) plutôt que « tournée vers la préservation des conditions de subsistance de tous les êtres vivants ».

Face à ces constats, une dynamique de reprise de savoirs s’est amorcée en 2022, avec l’organisation à travers la France de 23 chantiers visant à contribuer à l’émergence de pluriversités de la Terre : des espaces d’enquêtes collectives, de production et de partage de savoirs, ancrés dans les milieux de vie, les résistances et les alternatives. Dans ces chantiers, se sont combinés têtes, mains et cœurs. Se sont mêlés travail manuel collectif, transmission et partage de savoirs pratiques, politiques ou théoriques, le tout dans un cadre de vie collective auto-gérée et dans une égale dignité des différents savoirs, refusant les dominations habituelles de diplôme, de statut, de genre et de classe.

La question de la reprise des savoirs se pose depuis différents endroits que nous occupons ou avons pu occuper : étudiant·es, chercheuses et chercheurs,  enseignant·es refusant l’hégémonie de savoirs excluants et souvent destructeurs, des déserteurs de l’Éducation Nationale et de la Recherche, des militant.e.s de l’éducation populaire, des activistes engagé.e.s dans des lieux et des expériences visant à la reprise d’une autonomie politique et matérielle.

  • Depuis les mouvements sociaux, les lieux de luttes, d’alternative et depuis les milieux de vie : comment faire que les savoirs et les pratiques qu’y s’y jouent ne soient plus invisibilisés, dépréciés, « extractivisés », opprimés par les savoirs et logiques dominantes des institutions de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Comment faire pour que les forces capitalistes de destruction du monde ne puissent plus se nourrir dans les campus ?
  • La même question se pose aussi pour les étudiant·es qui se sont dirigé.e.s vers l’enseignement supérieur et la recherche avec l’espoir d’y trouver des repères pour s’orienter, d’y trouver des outils pour penser et construire une société plus juste et une planète habitable. Ce sont des logiques d’individualisation et de compétition qui les ont accueilli.e.s ; ce sont des savoirs et des partenariats de leurs facs et leurs Ecoles qui participent à la destruction du monde ; ce sont des disciplines qui les ont rappelé.e.s à l’ordre d’une division du travail et une hyper-spécialisation, dont le miroir est une écologie hors-sol, basée sur l’atomisation des réponses et l’individualisation des responsables.
  • Cette question se pose aussi depuis les personnels de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et notamment les enseigant.e.s et chercheur.e.s qui ont vu leurs mission et leur métier précarisé, soumis à  la mise en concurrence généralisée, à l’« excellence », à l’impératif de contrats avec l’industrie, à la caporalisation dans les Instituts et COMUE à la gouvernance de plus en plus verticale. Ses acteurs assistent à l’hégémonie des voies socio-techniques qu’ils et elles savent pourtant souvent destructeurs de la planète, à des attaques croissantes contre la pensée critique et à une reprise en main gestionnaire.

Le système d’enseignement supérieur et de recherche paraît prisonnier d’une mégamachine qui détruit les milieux vivants et reproduit des dominations sociales, raciales et patriarcales. Une grande part des recherches les mieux financées, des enseignements des grandes écoles et des universités ainsi que les perspectives de carrière proposées sont en complet décalage avec ce qui ferait sens dans nos vies.

L’invitation et la proposition que nous aimerions discuter oralement avec vous est la suivante : en prolongeant l’esprit des reprises de savoirs (égale dignité des savoirs ; méthodes d’éducation populaire ; rapport non dominant des savoirs à la subsistance et au soin…), il s’agirait de coordonner à l’échelle de ville/campus des actions de formes diverses (à discuter et adapter localement en fonction des publics ciblés, des collectifs engagés dans la démarche et de leurs savoir-faire, des moyens spatiaux et matérielsetc.) permettant de mettre les universités et les grandes écoles en chantier, de rassembler nos forces dans ce moment spécial de la rentrée scolaire, pour assumer un rapport de force concerté depuis l’intérieur et l’extérieur des campus. Nous aimerions poser des gestes avec vous qui puissent nourrir l’imagination quant à ce qui pourrait se vivre et s’expérimenter dans ces lieux et qui installent un rapport de force face à aux tendances et logiques problématiques qui dominent l’éducation supérieure et de la recherche.

Voici une première liste non exhaustive de pistes à explorer :

  • Et si pendant deux à quatre semaines en septembre, les étudiant·es se voyaient proposer, en parallèle de leur rentrée officielle, un programme alternatif qui alternerait des conf/débats/ateliers/discussions (les soirs de semaine) et des chantiers/festivals/mobilisations (le week-end)
  • Et si cette autre rentrée permettait de conscientiser/politiser/radicaliser les étudiants et personnels des campus en semant des graines dont les fruits se feraient sentir dans toute la suite de l’année (ambiance plus active, plus critique, plus engagée dans les asso (ISF, Atecopol, etc) et syndicats (Solidaires, etc) ?
  • Et si on parlait pendant cette autre rentrée de ce que notre établissement ne nous apprend pas quant à l’état de la société et de la planète (1ère semaine, ateliers/diagnostic du ravage écologique et social comme base commune), de comment l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (et notre établissement) fait partie du problème tout en se présentant comme solution (2ème semaine, auto-enquête sur notre établissement, notre technopole…), et de comment nous pourrions changer cela (3ème semaine, incitation à l’engagement)
  • Et si entre ces semaines, étaient organisés des chantiers les week-ends, soit sur place soit sur des lieux associatifs ou alternatifs proches ?
  • Et si le dernier week-end de septembre terminait ce moment en beauté par un geste fort : participation à une mobilisation (type XR ou Soulèvement de la Terre) ?
  • Et si nous avions la capacité de tenir de telles autres rentrées simultanément sur plusieurs pôles universitaires ?
  • Et si tenir ces autres rentrées, c’était aussi affirmer les liens avec la société civile, les groupes militants, les collectifs de vies, en dépassant les cases disciplinaires, et les métiers dans lesquelles elles projettent.